Onzième Elévation

Cœur suppliant qu’on l’aime

Deuxième désir du Cœur Eucharistique de Jésus : être aimé d’un amour de préférence

I

Réflexion. – Ne paraît-il pas contraire à la dignité de solliciter l’amour ? D’où vient que le Cœur de Jésus semble s’abaisser à cette supplication ? C’est que aimer Dieu est dans nos intérêts, non dans les siens, et que s’il nous presse de répondre à son amour, c’est uniquement pour notre bien. Dieu n’a pas besoin pour lui de notre retour, trouvant en lui-même son infinie suffisance.

Cependant comme la nature du feu est de se com­muniquer et que la charité divine est un feu, il est de sa nature de se répandre ; or, le cœur de l’homme fait par Dieu à son image étant pour lui un objet de prédilection, il n’aura complété sa création que quand il l’aura rempli de son amour. Voilà pourquoi il le supplie de faire vivre en lui cet élément essentiel de son bonheur et cette gloire de l’œuvre de Dieu.

II

Jésus – Je suis venu apporter le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu’il s’allume[1] ? Ce feu que la terre ne connaissait pas avant que je vinsse lui apporter la loi d’amour avec ses grâces, il n’est pas un feu dévastateur ; depuis ce règne de l’amour, je ne suis plus dans les orages, ni dans les tremblements. Je suis la douceur[2], qui ne brise pas le roseau à demi rompu mais qui allume la mèche encore fumante[3].

Mon cœur ne s’impose pas, il sup­plie ; j’en appelle beaucoup à l’intimité de mon amour et plusieurs refusent[4], je frappe à la porte et souvent on ne m’ouvre pas[5] ; mais je te supplierai de m’aimer, et avec tant d’instance que si ton cœur n’est pas de pierre, il se rendra.

Encore une fois, qu’ai-je dû faire que je n’aie pas fait pour toi[6] ? Pour te gagner, j’ai revêtu ta nature et t’ai donné ma vie, je l’ai reprise afin de la donner encore pour toi : je me consume aujourd’hui dans l’Eucharistie, et là, plus à toi que jamais, en toi-même quelles ne sont pas les tendres insinuations de mon cœur pour triompher de ton vouloir, te faire choisir de préférence le seul bien qui ne laissera pas de vide en ton âme.

Je n’exige pas de tous un amour exclusif, et si tu n’y es pas appelé, donne-­toi à ceux que tu peux aimer ici-bas, j’y consens, puisque je t’en ai fait un devoir, mais aime-les avec mon cœur pour les aimer avec quelque chose de mon immuable tendresse. Médite et honore tous mes mystères, chacun en son temps, mais aime d’un amour de prédilection le mystère qui les renferme tous et qui tient de mon cœur d’être par excellence le sacrement de l’amour.

III

L’âme – 0 mon Dieu, je comprends enfin au­jourd’hui pourquoi vous nous aimez tant … ce désir d’être aimé, il n’est pas en vous un besoin se rapportant à vous-même, verbe éternel, amour incréé et infini : quel accroissement de bien vous apporterait notre indigente affection ? mais c’est parce que vous êtes amour parfait que vous êtes si fortement incliné à nous aimer parfaite­ment et à vouloir être aimé aussi parfaitement que nous en sommes capables.

Vous êtes tout amour, ô Jésus, vous êtes tout cœur : je ne m’étonne plus si vous ne pouvez vous lasser de venir du ciel sur la terre, pour nous transfor­mer en vous. Dans votre Eucharistie, vous êtes non seule­ment tout amour comme Dieu, mais tout amour comme homme, afin qu’il y ait ici-bas un cœur humain qui aime véritablement votre Père de tout lui-même et qui aime aussi véritablement les hommes, vos chers semblables, ô Jésus, comme soi-même pour l’amour de Dieu. Dans l’Eucharistie, vous êtes donc, si j’ose le dire, doublement tout ceur.

Quel prodige et quel bonheur ! Si vous n’étiez que science, beauté, sagesse, vous ne souffririez autour de vous que sagesse, beauté, science ; mais, à cause du grand amour dont vous nous avez aimés[7], amour qui surpasse toute connaissance humaine[8], vous demandez surtout nos cœurs. Et si je vous portais la science, la beauté, la sagesse même sans mon cœur, vous compteriez tout cela pour rien[9] ; et si encore mon cœur n’était pas tout amour, le reconnaîtriez-vous pour un cœur ?

Ah ! que cet amour me remplisse, m’inonde, me consume, me transforme, puisque, en vous donnant mon pauvre cœur, je vous contente. que du moins désormais je vous aime, Cœur Eucharistique de Jésus, non seulement par-dessus toutes les choses créées, mais encore avec une affection de préférence, parmi les divers témoignages de votre divin amour, afin de vous dédommager de l’oubli dans lequel nos cœurs vous ont laissé si longtemps.

12e Elévation : Cœur patient à nous attendre


[1] Cf. Luc XII, 49.

[2] Cf. Matth, XI, 29

[3] Cf. Ibid. XII, 2o.

[4] Cf. Prov. I, 24.

[5] Cf. Apoc. III, 20.

[6] Cf. Is. V, 4.

[7] Ephés. II, 4.

[8] Ephés. II, 19.

[9] I Cor. XIII, 1-2.