Treizième Elévation

Cœur pressé de nous exaucer

Quatrième désir du Cœur Eucharistique de Jésus : notre Médiateur auprès de son Père

I

Réflexion. – Savoir vouloir et savoir attendre sont la marque d’une grande force et d’une grande sagesse. La mesure d’un désir est en rapport avec l’ardeur du cœur qui l’éprouve ; et si ce désir est dans l’ordre, il s’accroit de son excellence.

D’après cela on peut comprendre quelle est la force des désirs de Jésus par rapport à nous, et quelle inqualifiable violence et faite à son Cœur quand notre force d’inertie annule son désir de nous accorder ce qu’il sait nous être nécessaire ; il pourrait nous incliner tout de suite à le vouloir, mais c’est alors qu’il s’impose d’attendre, car sa sagesse qui atteint avec force d’une extrémité du monde à l’autre, dispose tout avec douceur[1].

Est-ce à dire que notre inertie a une puissance supé­rieure à la volonté de Dieu pour lui faire obstacle ? Non, certes, rien ne résiste à la volonté divine quand elle est absolue, mais celle qu’il daigne exprimer comme un dé­sir n’est qu’une volonté relative à la liberté que lui-même nous a laissée. Toutefois, ce royal désir n’en est pas moins un ordre pour le sujet docile ; refuser de s’y conformer serait une révolte.

II

Jésus – Mon désir est d’être votre Médiateur. Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, il vous le don­nera[2]. Demandez et vous recevrez[3]. Vous ne demandez pas assez. La flèche lancée vers son but, l’éclair qui sillonne la nue, ne sont pas aussi rapides que l’élan de mon Cœur offrant à mon Père la supplication pure. Hier je voulais bien attendre, aujourd’hui je veux me hâter, car il se fait tard, le jour est sur son déclin[4].

Vos jours sont comptés et le temps presse, car il passe ; vous l’avez perdu à me faire attendre : regagnez-le et avancez maintenant. Les besoins sont grands : les âmes se perdent, l’Eglise souffre, je reste méconnu et mon Père est offensé.

La charité me presse, il faut que la charité de la terre appelle la charité du ciel, il faut que la misère implore la miséricorde. Je suis pressé comme on l’est dans l’angoisse du cœur devant le péril imminent de ceux qu’on aime : envoyez donc vers moi vos plus pressantes supplications.

Je suis le seul in­tercesseur près de mon Père, ne l’oubliez pas, le seul à être parmi vous capable de lui offrir une prière digne de lui, parce que je suis « l’Homme-Dieu », l’homme sans reproche, pressé d’intercéder pour le peuple, présentant le bouclier de son ministère avec vos supplications pour détourner la colère du Seigneur[5].

C’est pour cela que je me suis placé entre la terre et le ciel dans les tabernacles de l’Eucharistie, adorateur en votre nom et médiateur près de mon Père ; que votre supplication soit instante, confiante, persévérante et désintéressée.

III

L’âme – Le Cœur Eucharistique de Jésus voudrait répandre sur nous des trésors de grâce, mais il veut que nous les désirions, il veut que nous les demandions, il veut que nous voulions les recevoir et y coopérer.

Son amour brûle de se communiquer. Jésus a les mains pleines, et il ne sait où laisser tomber les trésors qu’elles contiennent, parce que nos âmes sont fermées et nos cœurs remplis d’affections étrangères ou d’attachement à nous-mêmes ; nous allons même quelquefois jusqu’à craindre de rece­voir des grâces qui nous demanderaient plus de fidélité !

Votre charité cependant, ô Jésus, se montre de plus en plus pressante ; après nous avoir suppliés de venir, après avoir été patient à nous attendre, vous nous dites une pa­role encore plus touchante : «je suif pressé de vous exau­cer. »

Qu’est-ce à dire, hélas ! quand loin de vous adres­ser d’ardentes supplications, nous ne sommes peut-être pas même des « hommes de désir[6] » ? Ah ! Seigneur ! quelle misère n’est pas la nôtre ; voyez ; nous n’avons pas seulement conscience de nos vrais besoins !

Seigneur, apprenez-nous à demander ! Ô Esprit de lumière, venez gémir en nous ce gémissement inénarrable[7], qui est la prière que le Fils entend, que le Père exauce.

Ô Père, tirez-moi ; ô Fils, mon Médiateur, mon protecteur, ma force, ma vie vivante, tirez-moi aussi, tirez-moi de moi­-même, car c’est en moi que sont mes plus dangereux en­nemis ; descendez dans les profondeurs inconnues de cet abîme où sont ces ennemis trop aimés, avec qui je pactise contre vous, et délivrez-moi, malgré moi-même, peut­-être ; faites-moi un rempart de votre corps sacré, un bou­clier de votre Cœur Eucharistique.

N’est-ce pas là préci­sément votre ministère d’amour dans les attributions de la divine Eucharistie ? Je me livre enfin à vous, me voilà Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? Vous laisser faire peut-être ? Eh bien, oui, et puisque c’est moi-même qu’il faut vaincre d’abord, prenez le glaive à deux tranchants, séparez mon âme charnelle de mon âme spirituelle, ma volonté bonne de ma volonté mauvaise.

Ce glaive, c’est votre amour fort comme la mort, qui seul peut immo­ler la nature déréglée à la grâce et combler vos désirs en même temps que les miens ; mais cet amour même, faites, Seigneur, que je le comprenne, que je le désire, que je sache le demander avec une volonté si vraie que je l’obtienne enfin.

 Exaucez donc, Dieu tout-puissant, la voix par laquelle j’ai crié vers vous, la voix de votre Fils bien-aimé dans l’Eucharistie, et ayez pitié de nous.

14e Elévation : Cœur désirant qu’on le prie


[1] Sagesse VIII, 1.

[2] Cf.  Jean XIV, 23.

[3] Cf. Matth. VII, 5

[4] Cf. Luc XXIV, 29.

[5] Cf. Sap. XVIII, 21.

[6] Cf. Daniel IX, 23.

[7] Cf. Rom. VIII, 26.