Dix-septième Elévation
Cœur doux refuge de la vie cachée
Huitième désir du Cœur Eucharistique de Jésus : notre refuge au saint Tabernacle
I
Réflexion – Un refuge est un lieu de salut, un lieu assuré contre le danger ; lieu interdit ou inaccessible au droit ou à la force. Les églises offraient autrefois cet inviolable droit d’asile aux criminels poursuivis par la justice. Touchante figure de la miséricorde divine, précieuse allusion à la tendre compassion du Cœur Eucharistique de Jésus qui, ne pouvant s’ouvrir à des pécheurs non repentants, leur ouvre du moins son sanctuaire, essayant de les gagner à lui pour les sauver.
II
Jésus – Je suis un Dieu caché, le Dieu et le Sauveur d’Israël[1], et, m’étant montré une fois parmi les hommes, j’ai dû, moi le premier, pour me soustraire à leurs poursuites, me réfugier dans un sanctuaire… dans mon Eucharistie, afin de ne plus mourir de leurs mains.
Là quelques-uns continuent encore à me poursuivre, en élevant contre moi leurs clameurs impies, mais leurs coups ne blessent que mon Cœur, et je peux subir leurs outrages sans être forcé de les quitter. S’ils me chassent de ma frêle enveloppe en la détruisant, je me retire dans ma gloire, mais aussitôt je reviens parce que je vous ai promis de demeurer avec vous jusqu’à la fin !
A vous aussi, mes amis qui me suivez dans mes abaissements et vivez méconnus en butte aux traies du monde, ne faut-il pas un refuge sur cette terre et un lieu de repos ? Ah ! que ce soit le tabernacle de Dieu avec les hommes[2], venez vous y cacher avec moi en Dieu mon Père ; venez y chercher abri contre le poids du jour et de la chaleur, contre l’esprit des ténèbres qui rôde pendant la nuit[3].
Venez, vous qui souvent consolez ma tristesse, je consolerai la vôtre, et ces autres peines secrètes que vous ne confiez à personne. Frappez à cette petite porte, et j’ouvrirai toujours. L’enfant effrayé qui se jette sur le sein de sa mère émue, le fils égaré qui se réfugie dans les bras d’un père attendri, ne trouvent rien d’aussi doux que la douceur de ce repos sous mon toit sacré, après la fatigue du travail et dans les lassitudes des combats de la vie.
Là, comme autrefois le disciple bien-aimé appuyé sur mon cœur, vous apprendrez à le connaître ; et quand vous le connaîtrez, vous n’en sortirez plus, car votre cœur fait à son image ne pourra jamais se contenter que de lui.
III
L’âme – Pourquoi, mon Seigneur, la vie cachée a-telle besoin d’un refuge ? n’est-elle pas le refuge même ? le cloître ne défend-il pas contre l’esprit du monde ? et si, étant dans le monde, je ne suis pas du monde[4], ne suis-je pas préservée ? …
Hélas ! sur cette pauvre terre semée de dangers, on n’échappe à un ennemi que pour en trouver d’autres, et je tomberais certainement en leur puissance, en quelque lieu que je sois, si vos autels, ô Dieu des vertus, ne m’offraient un refuge[5].
Le monde méprisé laisse-t-il se retirer en paix celui qui refuse son joug ? le démon, jaloux de mon repos devant la perte du sien, ne connaît-il pas les chemins de ma retraite ? et la nature ? … la nature, hélas ! tyrannique, inconstante et vivante en moi-même, n’est-elle pas ma perfide et inséparable compagne ?
Il n’y a donc que bien avant dans votre Cœur, ô Jésus-Hostie, là où certes le démon n’a jamais pénétré, où le monde ne peut pas entrer, où la nature frémit d’approcher, il n’y a que dans ces profondeurs trop inconnues que je puis être en parfaite sécurité. Ah ! bon Jésus, bien vite ouvrez-les moi !
Mais elles sont ouvertes, me dites-vous. D’où vient que je n’y suis pas ? L’obstacle serait-il en moi-même ? Des habitudes et des attachements incompatibles avec la sainteté de ce lieu sacré m’en excluraient-ils ? Serais-je déjà dominée par ces puissances que je redoute et entravée par elles dans mes élans vers vous ?
S’il en était ainsi, Seigneur Jésus, oh ! je vous en conjure, délivrez-moi ; ne m’attendez plus, mais venez vous-même: rompez ces barres de fer, ouvrez les portes de cette odieuse prison, découvrez-moi les trésors de grâce enfouis[6] dans mon âme depuis tant d’années sans produire autre chose que ma condamnation ; faites-y entrer un rayon de lumière, ô Jésus, et alors je verrai clair, la vérité me montrera la voie; j’irai frapper avec une humble confiance à la porte du refuge sacré où repose votre Cœur Eucharistique, et si, trop souillée, je ne puis encore entrer, si je ne suis pas digne de me reposer en vous, eh bien ! je reviendrai en moi, je me purifierai de mon mieux, et à mon tour, je vous appellerai à votre table sainte dans une communion pleine de confiance et d’espérance; vous serez alors contraint de venir, ô bon Jésus, je vous recevrai avec un humble amour dans ce misérable cœur; et en attendant que vous me donniez d’être tout à vous, je vous aurai tout à moi, et je pourrai dire avec foi en vos miséricordes : Puisque Celui qui m’a créée a daigné reposer dans mon tabernacle, comment pourrait-il me refuser encore longtemps ce que lui-même désire : mon repos dans le sien ? … qui creavit me requievit in tabernaculo meo[7].
18e Elévation : Cœur maître des secrets de l’union divine
[1] Cf. Is. XLV, 15.
[2] Cf. Apoc. XXI, 3.
[3] Cf. I Petr. V, 8.
[4] Cf. Jean VIII, 23.
[5] Cf. Ps. LXXXIII, 4.
[6] Cf. PS. CXVII, 19 : Eccli. XXVI,1.
[7] Eccli. XXIV, 12.