Dix-neuvième Elévation

Cœur de Celui qui dort, mais qui veille toujours

Dixième désir du Cœur Eucharistique de Jésus : la charité fraternelle

I

Réflexion – Dans son tabernacle comme dans la barque agitée par les flots, Jésus dort[1]; mais c’est là surtout que son Cœur veille sur son Eglise éprouvée et sur chacun des membres qui la composent.

Dormir est le signe du repos, veiller est celui de la sollicitude ; dormir et en même temps veiller est le signe de la puissance et de l’amour : de la puissance qui ne craint rien, parce qu’elle peut le bien qu’elle veut ; de l’amour qui craint tout, parce que l’objet de sa sollicitude peut vouloir s’écarter de ce bien. Et c’est là la seule crainte de Dieu.

II

Jésus – Je dors et mon cœur veille[2]. Je dors parce que je suis impassible dans mon éternel repos. Ma puissance ne m’a rien coûté et vous ne pouvez pas me l’enlever ; c’est pourquoi je dors. Mais vous avez coûté à mon Cœur et vous pouvez lui ôter ce qu’il aime ; voilà pourquoi je veille.

Au jardin des Oliviers, ma veille était douloureuse ; au Tabernacle où je veille encore, je suis souvent délais­sé ; venez quelquefois veiller une heure avec moi, parce que Satan, lui aussi, veille comme un loup ravisseur[3], et mes enfants trop faibles se laissent arracher de mon sein ; veillez donc, et pour consoler mon Cœur, priez pour eux afin qu’ils ne défaillent pas[4].

Veillez sur vous d’abord, et puis étendez votre sollici­tude sur ceux dont vous êtes les maîtres ou les amis ; s’ils font mal, avertissez-les, le faisant toutefois avec douceur et modestie[5], car il faut qu’il y ait entre vous pour vos infirmités une bonté compatissante, une amitié de frère[6] ; mais si vous ne pouvez rien, soit au corps, soit à l’âme de ceux qui vous sont donnés, continuez néanmoins à les aimer, à veiller sur eux, à prier pour eux.

Si un ami vous afflige, je vous en conjure, redoublez de charité en­vers lui[7], et ne voyez pas une poutre là où il n’y a qu’une paille[8]. Elargissez vos cœurs. Soyez bons comme mon Père est bon.

Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés[9]. Le moyen d’être aimé et toujours pardonné, c’est d’aimer et de pardonner jusqu’à soixante-dix fois sept fois, c’est-à-dire toujours, et vous aurez droit à tous les pardons : dimitte nobis debita nostra sicut et nos dimittimus debitoribus nostris.

III

L’âme – Seigneur, si votre sommeil est une épreuve pour notre foi, combien les marques du tendre et vigilant amour, qui nous suit par notre Providence, font briller à mes yeux la sagesse de ce divin repos toujours calme et toujours en acte ! Ces horizons ouverts sur les prodiges de votre puissante charité éblouissent ma raison pendant que votre inaltérable bonté étonne et confond mon misérable cœur.

Quelle est ma confusion : j’ai osé quelquefois juger de vos sacrés agissements et me plaindre de votre sommeil, pendant que je dormais dans les négligences qui ont causé d’irrémédiables préjudices ! J’ai abusé de votre bonté, ô mon Jésus, comme jamais personne n’abu­sa de la mienne, qui n’est que néant, et je voudrais, ce semble, exiger dent pour dent là où je me crois offensée. Je ne sais ni veiller avec une sollicitude soutenue, ni lais­ser le repos à ceux dont j’attends le concours, ni conten­ter ceux qui m’aiment, ni oublier avec générosité la peine que j’en ai reçue. Mon esprit n’est pas élevé et mon cœur n’est pas large. Il n’est pas doux et humble, il n’est pas semblable au vôtre.

Adorable Cœur de mon Jésus, c’est que je ne vous ai pas encore contemplé dans l’Eucharistie, où vous êtes tout spécialement mon modèle en attendant que vous viviez en moi.

Vous êtes notre chef, ô Maître, nous devons vous suivre ; vous êtes notre tête[10] et nous sommes vos membres[11] ; vous êtes notre cœur, le mouvement de notre vie, c’est par votre cœur surtout que vous êtes en nous, par la charité qui se donne soi-même et se sacrifie, jusqu’à se faire ici nourriture ; et c’est comme cela que nous sommes en vous, si nous sommes dans la charité[12].

C’est avec votre Cœur que nous devons aimer tout ce qui est aimable et tout ce qui ne l’est pas ; ce qui est aimable, pour ne pas nous y attacher, et ce qui ne l’est pas, pour l’aimer quand même ; et nous ne devons haïr que cela même que vous haïssez : le péché, non le pécheur, oh ! le pécheur, vous l’aimez.

O charité, ô amour, ô compassion, ô condescen­dance, ô support, ô consolation, entrailles de miséri­corde, paix avec les frères en Dieu, notre Père, et en Jé­sus-Christ Notre Seigneur ; ô amour du prochain, zèle des âmes, oui, vous serez dans mon cœur ! oui, mon cœur se donnera comme Jésus-Hostie donne son Cœur.

20e Elévation : Cœur Eucharistique de Jésus, ayez pitié de nous


[1] Cf. Matth. VIII, 24.

[2] Cf. Cant. V,2.

[3] Cf. I Petr. V, 8.

[4] Cf. Matth. XXVI, 41

[5] Cf. Col. III, 12.

[6] Cf. I Petr. III, 8.

[7] Cf. II Cor II, 8.

[8] Cf. Matth. VII, 3

[9] Cf. I Jean IV, 11.

[10] Cf. Col 1, 18.

[11] Cf. I Cor. VI, 15.

[12] Cf. I Jean IV, 16.