Première Elévation

Cœur Eucharistique de Jésus, doux compagnon de notre exil, je vous adore

I

Réflexion. – Un compagnon d’exil, qui n’est pas un exilé, ne peut être que l’ami généreux de celui dont il par­tage volontairement la disgrâce. – d’où vient un tel héroïsme dans l’amitié ? Est-ce d’une grande intelligence ? non, c’est d’un grand cœur. L’intelligence peut éclai­rer le dévouement, l’admirer, mais elle ne l’inspire pas. Le cœur seul est capable des actes généreux, parce que ‘amour seul fait aimer le sacrifice, y trouver du bonheur : « l’amour ne connaît pas la peine, et, s’il y a une peine, cette peine se change en amour[1]

II

Jésus. – L’homme n’a pas ici-bas de cité permanente et il cherche en gémissant le lieu de son repos[2]. C’est dans l’Eucharistie que j’ai dressé ma tente, à côté de la tienne sur cette terre d’exil; ô mon peuple bien-aimé, j’ai voulu être à côté de toi, et là, j’ai fixé mes yeux et mon cœur[3]3: mes yeux pour suivre tes pas, voir tes travaux, tes combats, considérer tes épreuves et les compter; recueillir tes bonnes œuvres et les présenter à mon Père afin qu’il n’entre pas en jugement avec toi; mais qu’il pardonne tes péchés quand ton repentir touchera sa miséricorde; j’y suis avec mon cœur pour le consoler en partageant ta dou­leur, pour alléger ton fardeau, reposer ta fatigue, appuyer ta faiblesse et par-dessus tout te donner un breuvage mys­térieux[4], mêlé à un pain de vie[5]5, que j’ai préparé dans ma sollicitude de peur que tu ne défailles en chemin.

Mon tabernacle te protégera de son ombre durant le jour et il te sera une retraite assurée contre l’orage ; il portera mon nom, un nom nouveau que je n’avais pas encore mani­festé et qui sera désormais publié dans toute la terre. J’ai pour toi un cœur d’ami sincère, ne crains rien ; si tu me restes fidèle, je te porterai secours sur le lit de ta douleur et je retournerai ta couche dans tes infirmités[6].

Comme une mère caresse son enfant lorsqu’il pleure, de même, quand tes soupirs iront vers la patrie, je remplirai ton âme des plus douces consolations[7].

Mais prends garde, n’abuse pas de mes largesses, en me voyant ainsi abaissé jusqu’à toi. N’oublie jamais que ce cœur d’ami, venu du ciel, c’est celui du Seigneur ton Dieu.

III

L’âme. – Seigneur, si un léger service me pénètre de reconnaissance envers celui qui me l’a rendu, quels seront pour vous les sentiments de mon cœur ? Ami cé­leste, ô mon Roi, Jésus présent et vivant au milieu de cet univers, dans votre Humanité glorifiée où repose votre Divinité ! Vous y êtes, là comme ailleurs, le Dieu souve­rain : mais là vous ne régnez que par le cœur, parce que votre puissance n’y triomphe que par l’amour. Je vous adore sur cet humble trône de votre charité, qui resplen­dit aux yeux des anges comme un ostensoir de feu placé au sommet du globe terrestre, éclairant et réchauffant l’univers et attendant ses hommages. Nos yeux ne le voient pas, mais notre foi le sait, et nos âmes le sentent.

Je vous adore, ô Présence réelle de mon Sauveur, cœur parfait, qui seul possédez tout ce que le mien désire dans un ami qu’il voudrait aimer sans mesure. je vous adore au fond de cette fange dont vous vous êtes approché pour me secourir. J’adore votre cœur corporel, ô Jésus ! parce qu’en vous tout est adorable, et spécialement l’organe qui a servi votre amour ici-bas ; mais quand j’adore votre cœur, c’est aussi et c’est surtout l’amour immense qui nous l’a donné que j’adore.

Que d’autres, au nom de la science, placent le siège de l’amour où ils voudront : pour moi, je sens mon amour dans mon cœur ; et mon cœur devient tout amour. Et pourtant ce cœur de chair qui bat plus fort dans ma poitrine au seul nom de ce que j’aime, n’est pas ce qui aime en moi ; il n’en est que le symbole ennobli par l’action qu’il en reçoit, et je dis avec le Psal­miste : Mon cœur et ma chair ont tressailli pour le Dieu vivant[8].

 Le cœur qui aime, qui est l’étincelle de la charité en nous, où est-ce donc? dires-le, savants, si vous connais­sez votre âme; car c’est dans l’âme qu’il doit se trouver, à cet endroit secret le plus élevé où sont les vestiges de notre ancienne grandeur ; dans cette faculté créée pour aimer le bien et le vouloir, pour aimer surtout le souve­rain Bien, dans cette puissance surélevée, déifiée par la charité, la plus haute des vertus théologales, celle qui du­rera éternellement et qui est dès ici-bas la vie éternelle commencée. Ce que je sais bien, c’est que mon cœur, tel qu’il est, je le dois au Seigneur, car j’ai entendu une mys­térieuse parole, qui semble m’ouvrir ses domaines et me mettre sur la trace de ses divins secrets : Mon fils, donne­-moi ton cœur et considère mes voies[9].

2e Elévation : Cœur Eucharistique de Jésus


[1] S.Augustin, De bono viduidatis, XXI P.L., XL, 448.

[2] Cf.Hébreux XIII, 14.

[3] Cf. II Parai. VII, 16.

[4] Cf.Jean VI, «6.

[5] Cf.Jean VI, 35.

[6] Cf P XL. 4.

[7] Cf Jer.  XXXI,  14

[8] Ps. LXXXIII, 3

[9] Prov. XXIII, 26.