Troisième Elévation
Cœur Solitaire
Première plainte du Cœur Eucharistique de Jésus à l’âme indifférente
I
Réflexion. – Malheur à celui qui est seul, a dit l’Esprit Saint ; Vae soli[1]. L’isolement n’est pas dans l’ordre de la Providence. Dieu, la perfection infinie, a des relations divines, trois personnes sont dans l’Unité par essence : his tres unum sunt[2]. Le cœur solitaire est donc toujours un cœur blessé, trompé dans ses affections, dédaigné dans ses dévouements, ou déçu dans ses espérances ; il s’est retiré des hommes, ou bien les hommes se sont éloignés de lui, et il est seul !
II
Jésus. – Je ne me suis pas retiré, c’est vous qui m’avez laissé ; « mes délices sont d’être avec les enfants des hommes[3] », et ils m’ont abandonné, moi qui suis la source d’eau vive et ils se sont creusé des citernes sans eau[4]. J’étais venu vivre avec eux sur la terre, ils m’ont fait mourir; j’ai répandu sur eux pour les sauver tout le sang de mon cœur: ils l’ont foulé aux pieds; – j’ai voulu les vaincre à force d’amour, je leur ai rendu ce même cœur ressuscité du tombeau; et de nouveau, je l’ai laissé sur la terre, non plus comme autrefois dans la Judée seulement; non plus sur un seul point du globe où il faille venir de loin me rendre les hommages qui me sont dus, mais, à côté de chacun des miens, à la porte de leur demeure ; non dans une arche d’or, mais captif dans leurs humides et froids tabernacles, moi le Seigneur votre Dieu, le Très-Haut, le Puissant Roi du ciel et de la terre ! Et c’est là que depuis dix-huit siècles je tends vainement les bras, à un peuple rebelle que ses passions emportent loin de moi[5].
Je suis seul dans mon temple ; non seulement l’église où je réside est souvent déserte, mais quelquefois les portes en sont fermées. Qui pense à moi avec amour ?… Mon cœur est seul !…
III
L’âme – Vae soli ! Et c’est sur vous, ô Jésus, que nous-mêmes, en échange de votre incomparable amour, avons fait retomber cet anathème, quand votre cœur vous avait amené dans les tabernacles de l’Eucharistie à demeurer avec nous, pour nous l’épargner !…
Et nous ne vous avons rendu qu’amère ingratitude ! …
Beaucoup d’âmes, il est vrai, comme des lampes luisantes et ardentes, vous tiennent jour et nuit fidèle compagnie ; mais qu’est-ce, hélas ! auprès du grand nombre de celles qui devraient vous entourer ? Et encore, toutes vous portent-elles la consolation que votre cœur désire ?
La solitude qui fait souffrir n’est pas tant l’absence des créatures que l’isolement du cœur : qui ne préfère être seul plutôt que de vivre avec un ennemi, ou seulement un indifférent ? Et c’est avec des ennemis, avec des indifférents, qu’indifférent moi-même, je vous ai laissé, Jésus, pendant que votre Cœur, comme en deuil sous ses voiles eucharistiques, restait seul dans sa prison d’amour.
Ah ! ce qui me console, c’est que votre prison, ô Jésus, en dépit de notre cruauté à la rendre indigne de vous, a, dans ses ténèbres et ses isolements, des avenues sur le ciel, où des myriades d’anges viennent vous louer ; que dis-je, elle est le ciel même, puisqu’elle vous contient.
Les âmes qui ne vous ont pas laissé, en connaissent aussi les sentiers que je ne sais plus. Hélas ! pourquoi en ai-je perdu la trace ? Malheur à ceux qui manquent de cœur auprès du Cœur de Jésus ; ils méritent cet anathème : La Lumière de son tabernacle se couvrira d’obscurité, et la lampe qui éclairait au-dessus s’éteindra[6].
Seigneur, Seigneur ! non, de grâce, ne laissez pas s’éteindre la mèche qui fume encore, je me réveillerai de mon assoupissement ; et désormais j’entretiendrai le feu perpétuel que vous demandez devant votre autel[7], c’est-à-dire la prière continuelle devant votre Cœur Eucharistique, ô Jésus, dans le sens que vous-même commandez.
[1] Eccl. IV, 10.
[2] 1 Jean V, 7.
[3] Prov. VIII, 31.
[4] Cf.Jer. II, 13.
[5] Cf. Isaïe LXV, 2.
[6] Cf. Job XVIII, 6.
[7] Cf.Lév. VI, 5.