Quatrième Elévation

Cœur humilié

Deuxième plainte du Cœur Eucharistique de Jésus à l’âme rebelle

I

Réflexion. – Quand l’amitié doit régner entre deux êtres inégaux, c’est le plus grand qui doit commencer. Descendre à ce qui est petit n’est donc pas une humilia­tion ; c’est au contraire, quand un noble sentiment l’ins­pire, un signe de grandeur d’âme de celui qui s’incline ; et plus cette condescendance vient de haut, plus elle ho­nore celui dont elle vient et celui qui en est l’objet.

Ce qui humilie un cœur noble et généreux, trompé dans son estime et dans son affection par un être méprisable, c’est de l’en avoir jugé digne ; c’est de s’être mé­pris et de l’avoir élevé jusqu’à lui. L’avilissement du cou­pable ne l’atteint pas dans sa grandeur ; ce qui l’atteint au plus intime de lui-même, ce qui humilie son cœur, c’est de l’avoir aimé. [Du moins en est-il souvent ainsi, dans l’ordre des choses humaines, chez les cœurs magna­nimes, qui peuvent se tromper en donnant leur confiance à qui ne la mérite pas, par exemple chez un souverain tra­hi par un ministre indigne. Il y a quelque chose d’ana­logue en Notre-Seigneur, avec cette différence qu’il ne peut se tromper et qu’il ne donne pas imprudemment sa confiance, bien qu’il accorde ses dons à beaucoup qui dans la suite s’en montreront indignes.]

II

Jésus. – J’ai été abaissé par ceux que j’avais élevés[1], moi le Très-Haut. J’ai vu dans l’opprobre l’humanité dé­chue, et mon cœur s’est ému ; j’ai eu compassion d’elle à cause de sa faiblesse ; je l’ai aimée, et oubliant ses fautes, je l’ai prise pour mienne ; alors je l’ai couverte de mes bienfaits[2]. Mon Père n’a pas trouvé dignes les holocaustes pour le péché et j’ai dit : « Me voici.[3] » Je prendrai un corps, je vous l’offrirai pour sa rançon et je rachèterai la coupable ; je la purifierai, je parlerai à son cœur[4]; elle comprendra son bonheur, sera touchée et se convertira. Après l’avoir rachetée de mon sang, je l’ai appelée à ma table ; et dans un ineffable Don, où j’ai rassemblé toutes mes merveilles, j’ai mis le comble à sa gloire ; je lui ai donné mon cœur, ne demandant que le sien pour toute reconnaissance[5].

Mais, hélas ! le cœur de l’insensé est comme un vase fêlé qui ne retient aucune sagesse[6], privée d’intelligence, l’insensée ne m’a pas compris, elle ne m’a pas aimé, s’est détournée et, comme l’animal immonde qui revient à ses vomissements[7], elle a préféré sa misère.

Aussi, ma douleur est au-dessus de toute douleur et mon cœur est triste[8], par ce qu’il est humilié[9] dans ce qu’il avait aimé[10].

III

L’âme. – O mon Sauveur ! vos reproches à l’ingrate humanité se concentrent sur mon âme, et je répète avec le Prophète : « Mon cœur est bouleversé au-dedans de moi, et la désolation s’est élevée dans mon âme[11]. O Jésus, Roi de gloire, Soleil de justice, j’ai pu vous humi­lier !… Quand vous étiez descendu dans l’abîme où j’étais plongée, pour m’en retirer et me laver dans les eaux du baptême, je vous ai humilié, faisant servir les premières lueurs de ma raison à vous offenser, annulant déjà le sa­crifice de ma rançon.

Quand vous m’avez appelée pour la première fois à votre sacré banquet, me découvrant les saints taber­nacles de l’Eucharistie où seraient désormais, pour moi, votre demeure et votre cœur toujours ouvert au mien, je vous ai humilié par ma tardive intelligence et mon pué­ril amour, … vous faisant des promesses que je n’ai pas tenues.

Lorsque je suis entrée dans l’adolescence, vous avez voulu, par vos attraits divins, m’attacher à vous afin de rue préserver du mal, je ne vous ai donné qu’un regard distrait, courant aux entraînements de la nature, aux plaisirs du monde, à l’esclavage des passions. Combien alors et depuis, par mes nombreux péchés, n’ai-je pas déçu, froissé, humilié votre Cœur, ô Jésus !

Et ce Cœur Eucharistique descendant du ciel pour habiter parmi nous, quelle demeure lui offrons-nous en échange de nos âmes qui lui sont fermées ! L’irréligieux dénuement de la plupart de vos temples ne vous est-il pas une douloureuse humiliation ?

Quand on voit le confortable dont les indigents eux-mêmes s’efforcent de pourvoir leur habitation, et que l’on considère à côté vos églises souvent, hélas ! si pauvres, on rougit et on pleure de tant d’insensibilité. Vous aimez la pauvreté, ô Jésus, oui, quand c’est vous qui la choisissez pour nous apprendre à l’aimer ; mais quand nous-mêmes vous l’imposons, afin de mieux jouir de nos richesses, nous humilions cruellement votre Cœur attris­té de cette dure inconvenance. Tandis que des milliers de flambeaux éclairent les folies du monde, une petite lampe, souvent éteinte, hélas ! indique seule que Dieu, le bon Dieu, la personne de Jésus-Christ, son Cœur tout brûlant d’amour pour nous est là !…

A la vérité, Il n’a nul besoin pour lui-même, lui, Eclat de la lumière éternelle : candor lucis aeternae, de nos chétives splendeurs ! Jésus n’a voilé sa face que pour nous laisser l’approcher et nous donner l’honneur de travail­ler ici-bas à sa gloire : il n’a pas besoin de cette gloire accidentelle qu’il nous permet de lui procurer. Il est pourtant sensible à la reconnaissance que beaucoup lui refusent, et Lui seul, dans son amour pour nous, connaît parfaitement de quels biens immenses nous nous privons en fermant nos âmes aux grâces qu’il nous offre. Puis, il est humilié, devant les nations, que notre zèle devrait conquérir à la vraie foi, du titre de chrétien qu’il nous a donné.

Et ingressi sunt ad gentes, ad quas introierunt, et pol­luerunt nomen sanélum meum, cum diceretur de eis: Popu­lus Domini iste est, et de terra ejus egressi sunt[12].

5e Elévation : Cœur délaissé


[1] Cf. Is. I, 2.

[2] Cf. Ez. XVI, 1.

[3] Cf. Ps. XXXIX, 7-8.

[4] Cf. Ps. XLIX, 7

[5] Cf. Prov. XXIII, 26.

[6] Cf. Eccl. XXI, 16.

[7] Cf. Prov. XXVI, 11

[8] Cf. Jér. VIII, 18.

[9] Cf..Prov. XII, 25.

[10] Comme nous l’avons noté plus haut dans la Préface, bien que Notre-Seigneur ne souffre plus dans sa gloire, le péché lui déplaît, et s’il reçoit une béatitude accidentelle de la reconnaissance ai­mante que quelques-uns lui manifestent, beaucoup la lui refusent. Il a aussi souffert ici-bas, d’une souffrance en quelque sorte supé­rieure au temps, de toutes les ingratitudes à venir. Enfin il continue d’une façon mystérieuse à souffrir dans son corps mystique, dans ses membres affligés qui lui sont saintement unis.

[11] Cf. Ps. LIV,3.

[12] Ez. XXXVI, 20. : Dans les nations où ils sont allés, ils ont profané mon saint nom, car on disait : “C’est le peuple du Seigneur, et ils sont sortis de son pays !” (trad. aelf.org)