Septième Elévation

Cœur méprisé

Cinquième plainte du Cœur Eucharistique de Jésus à ceux que le monde entraîne

I

Réflexion. – L’oubli, de sa nature, est silencieux. En amitié, c’est le sommeil du cœur ou son absence ; et le mépris en est le réveil mauvais. Un amour méprisé subit un affront poignant ; on lui a dit : j’ai autre chose en moi, et n’ai que faire de toi.

Ce froid mépris s’accentue dans un mot, un geste, une omission; et ce sont là autant de glaives pour le cœur méprisé, qui ensanglantent sa vie sans lui apporter la consolation de la lui ôter ; et souvent, ce qui est plus dur encore, sans lui ôter son amour.

II

Jésus – … Ego non sum de mundo[1]: je ne suis pas du monde, parce que le monde n’a pas l’esprit de vérité en lui[2], et voilà pourquoi son mépris est tombé sur moi ; c’est à cause de cela aussi que ce mépris, tout en offensant ma justice, ne touche pas mon cœur. Mes amis, vous que mon Père m’a donnés[3], qui que vous soyez, n’aimez pas le monde, ni ce qui est dans le monde[4].

Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui. Car tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence de la chair, ou concupiscence des yeux, ou orgueil de la vie[5] ; et ceux qui se complaisent en ces choses et en eux-mêmes, ce sont eux qui sont le monde, mon ennemi et le vôtre, mes bien-aimés. Il cherche à vous séduire, et à cause de cela, je prie mon Père, afin qu’il vous préserve de l’esprit du monde et vous garde du mal[6]. Mais cela n’est pas tout, il faut vous garder vous­-mêmes, en ne vous exposant pas au danger, car alors vous succomberiez, puisque vous exposer volontairement se­rait un commencement d’infidélité …

Ah ! vous qui êtes mes amis, laissez-moi confier en­core à vos cœurs l’affliction du mien ; un grand nombre d’âmes, hélas ! me sont ainsi ravies par le monde ; hier encore, elles étaient mes disciples fidèles partageant les doux mets de ma table ; et aujourd’hui, les voilà qui de­viennent mes ennemies. Déjà elles ne croient plus en moi, elles souffrent sans espérance et se jouent de mon amour. Ah ! j’ai nourri des enfants, je les ai élevés, et ils m’ont méprisé ! voyez s’il est douleur semblable à ma douleur[7]. Ô mon peuple, comment pouvez-vous me traiter ainsi après tout ce que j’ai souffert pour vous racheter ? Vous du moins qui voulez me consoler, parlez à ces frères qui s’égarent, éclairez-les, touchez leurs cœurs et dites-leur ceci : Revenez à celui qui a rempli de joie votre jeunesse[8], rappelez-vous votre première innocence, ne consommez pas votre perte, mais retournez au Seigneur.

III

L’âme- Ô homme, regarde et vois combien tu es aimé de Dieu. Quoi ! le monde te plait encore ! Quoi, tu peux vouloir autre chose que Jésus même ! Il en faudrait mou­rir de honte et de regret ! Ô Jésus mon adorable Maître, pourquoi donc êtes-vous venu sur cette terre chercher le mépris ? Vous, Roi des rois, Grandeur suprême … Le mépris est-il donc un breuvage digne de Dieu, que vous ayez voulu le prendre à longs traits ? Quel mystère !

Ah ! vous me donnez de le comprendre : comme vous avez vou­lu naître dans une étable, parce qu’il répugnait à votre grandeur vraie d’emprunter quelque chose à la fausse grandeur de la terre et que vous deviez à votre dignité de vous placer à l’extrême opposé, de même la vaine gloire du monde répugne à la gloire vraie qui vous est propre ; et le mépris de ce monde insensé vous honore tout en vous offensant. Vous l’affrontez pour nous, Seigneur, afin de nous apprendre à le dédaigner aussi. Pourquoi donc nous, qui croyons être de vos amis, faisons-nous encore quelque cas des jugements qui émanent de l’esprit du monde ? D’où vient que, vivant de votre vie dans la com­munion fréquente, qui devrait, peu à peu, nous transfor­mer en vous, nos vues sont encore si loin des vôtres ?

Cela montre une grande faiblesse. Si donc nous sommes debout, prenons garde de tomber, la vie du monde circule dans nos veines et lutte contre la vie de Jésus-Christ ! Si le Cœur de Jésus dans son Eucharistie nous fait comme une autre loi d’amour, dans la loi d’amour elle-même, pour nous défendre par la force de ce puissant amour contre l’at­trait du péché, souvenons-nous que cette loi perverse du péché est encore en nous, que le foyer de convoitise n’est pas éteint, et qu’il n’est aucun mal fait par un homme dont un autre homme ne soit capable.

Parmi les Juifs, Seigneur, vous avez longtemps pris soin de rester inconnu, de voiler même vos vérités, afin qu’ils fussent moins coupables de les repousser. C’est qu’elles étaient pour eux, il faut l’avouer, bien surpre­nantes ; aussi ont-ils été moins coupables que nous, dans leur mépris de vos saines enseignements. Oui, comme les anges rebelles, nous péchons dans la lumière ; et les mau­vais anges, eux, n’avaient pas connu l’Eucharistie !

8e Elévation : Cœur outragé


[1] Cf. Jean XVII, 16.

[2] Cf. Ibid. XIV, 17.

[3] Cf. Ibid. VI, 39.

[4] Cf. 1 Jean II, 15.

[5] Cf. Jean II, 16.

[6] Cf. Jean XVII, 15.

[7] Cf. Lament.Jérém. I, 12.

[8] Cf.  Ps.XLIII,  4.