Huitième Elévation

Cœur outragé

Sixième plainte du Cœur Eucharistique de Jésus aux pécheurs

I

Réflexion. – L’outrage formel est le comble du mé­pris. Outrager quelqu’un qui nous aime est le dernier degré d’une odieuse cruauté, le dernier terme de l’abais­sement moral. Mais lorsque celui qui nous aime revêt toutes les supériorités, tous les titres à l’affection, tous les droits à la reconnaissance, l’outrage devient le pa­roxysme d’une démence coupable, et le malheureux qui en assume le forfait se réprouve lui-même : humiliata es usque ad inferos[1].

II

Jésus Verbum iniquum constituerunt adversum me[2] : ils ont élevé contre moi une parole inique. Comme une épouse outrageant son époux qui l’aime, ainsi m’a outragé la maison d’Israël[3]. Je ne vous ai fait que du bien, ô vous qui vous éloignez de moi, et, par là, vous me plon­gez dans la tristesse. En vous faisant naître sous une loi de grâce, je vous avais déjà privilégiés ; mais, je ne suis pas seulement venu pour vous apporter la grâce du salut, j’ai voulu que vous l’ayez avec plus d’abondance[4] et que vos corps y participent, recevant de mon cœur une nourri­ture céleste, qui les glorifie dès cette vie, en déposant en eux un germe d’immortalité[5]. Et voilà que par vos pé­chés, vous souillez ces corps devenus mes membres, vous les faites servir à l’iniquité plutôt que de les respecter et d’attacher vos cœurs au mien. Vous n’avez pas voulu ser­vir le Seigneur votre Dieu : non serviam[6], avez-vous dit, je ne servirai pas, préférant vous conduire seuls.

Hélas ! avez-vous été plus vraiment libres, et votre bonheur est-il parfait ? Au lieu de ne servir qu’un Maître plein de sa­gesse et de bonté qui vous donnait la paix, vous vous êtes fait des dieux de toutes vos passions coupables et vous avez subi en esclaves leurs insatiables exigences.

Mainte­nant, à la poursuite du bonheur qui s’est enfui, vous cou­rez en criant : La paix ! la paix[7] ! mais hélas ! il n’y a plus de paix pour l’impie[8], mes entrailles se sont émues[9], et mon cœur qui de son tabernacle vous entend et vous suit, sait incomparablement mieux que vous tout le mal que vous vous faites à vous-mêmes, et tout celui que vous pré­parez, si votre péché, malgré mes appels, reste toujours sans repentance.

Ah ! puisque vous n’êtes pas heureux, essayez au moins, maintenant, de retrouver ce qui peut vous donner la paix[10], ouvrez vos yeux et vos cœurs, re­connaissez votre péché et convertissez-vous[11], fils rebelles, revenez à moi[12]votre père, et je guérirai le mal que vous vous êtes fait en vous détournant de moi.

Oh ! pasteurs fidèles, allez après eux avant qu’ils ne s’éloignent davantage, allez promptement, ceignez vos reins[13], retrouvez-les, rendez-les moi.

Et vous, âmes dévouées, qui connaissez les chemins de mon cœur, ses désirs et son ardent amour, faites pour ce peuple égaré une efficace pénitence : Filles de Sion, revêtez-vous de cilices et de cendres et pleurez[14] avec moi ; sauvez-les, car je ne veux pas être consolé que mes brebis perdues ne m’aient pas été ramenées. Oh ! alors nul ne les ravira de ma main ! Et non rapiet eas quisquam de manu mea[15].

III

L’âme – 0 Jésus, vous êtes vraiment le bon pasteur, et vous avez bien des fois et de bien des manières donné votre vie pour vos brebis[16]. Ah ! oui, mon Sauveur, vous résister, vous outrager est bien une folie, mais hélas ! une monstrueuse folie qui a conscience de ses actes et qui ré­unit en chacun d’eux bien des crimes … les bourreaux qui vous crucifiaient au Calvaire étaient coupables, certes, et insensés, mais ils étaient d’ignorants mercenaires, de grossiers instruments d’une haine étrangère à leur vo­lonté, et après tout, d’aveugles exécuteurs de vos disposi­tions secrètes dans le mystère de notre rédemption. Les mérites de votre sang ne les avaient pas encore purifiés, la loi de grâce n’avait pas dessillé leurs yeux. Ils étaient cruels, oui, mais véritablement des hommes sans raison ; et voilà précisément pourquoi votre prière s’élevait pour eux à votre Père : « Pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font[17]. »

Combien différente, hélas ! est notre condition, et quelles excuses trouver à une folie aussi éclairée que la nôtre ? Nous qui avons reçu les grâces infuses du saint Baptême, et qui, dès notre enfance, avons, pour la plu­part, connu votre sainte loi; nous qui avons été nourris de la fleur de froment[18] et qui peut-être dans un temps avons connu, pressés sur votre cœur, les ineffables douceurs de votre Eucharistie; nous, protégés, conduits, soutenus dans les diverses phases de notre vie par les innombrables prodiges de votre Providence; c’est nous qui vous avons outragé ! !

Ah ! si nous ne sommes pas de ceux qui ont dévasté vos pavillons et vos tabernacles[19], combien plus avons-nous contristé votre cœur et outragé votre sainte­té en laissant le péché dévaster le temple du Saint-Esprit que vous avez édifié en chacun de nous, pour en faire le lieu de votre repos !!! de votre repos, ô Jésus ! vous que les cieux ne peuvent contenir[20], et qui vouliez bien choisir mon cœur pour tabernacle vivant du vôtre, cœur si étroit déjà, et où, malheureux ! j’ai fait entrer le péché !

Ô Seigneur, mon Dieu, ô Créateur, ayez compas­sion de vos créatures inconsidérées. Voyez, nous ne nous entendons pas nous-mêmes ; nous ne savons pas ce que nous voulons, et nous nous éloignons de cela même que nous cherchons, que nous aimons et que nous désirons, quand instinctivement nous cherchons ce qui peut nous contenter.

C’est ici que doit resplendir votre miséri­corde; qu’elle est grande, Dieu de bonté, la demande que je vais vous faire: écoutez-la, je vous en supplie, de grâce, aimez encore ceux qui ne vous aiment pas ; ouvrez à ceux qui ne frappent point; guérissez ceux qui non seulement prennent plaisir à être malades, mais qui travaillent à le devenir davantage … vous avez dit, ô très doux Jésus, que vous êtes venu pour convertir les pécheurs: les voilà, ô mon Dieu, prenez pitié de ceux qui n’ont point pitié d’eux-mêmes …

N’écoutez que votre cœur, ô Jésus, il est notre avo­cat, et sauvez-nous (Ste Thérèse).

9e Elévation : Cœur méconnu des hommes


[1] Cf. Is. LVII, 9.

[2] Cf. Ps.XL, 9.

[3] Cf. Jérém. III, 2o

[4] Cf. Jean X, 1o.

[5] Cf. Sap. XV,3.

[6] Cf. Jérem. II, 2o

[7] Cf. Jérem. VI, 14.

[8] Cf. Is. LVII, 21.

[9] Cf. Jérem. XXXI, 20.

[10] Cf. Luc XIX, 42.

[11] Cf. Eccl. XVII, 21.

[12] Cf. Is. XLIV, 22.

[13] Cf Jérem. I, 17.

[14] Cf. Jérem. VI, 28.

[15] Cf. Jean X, 28.

[16] Cf. ibid., 11.

[17] Cf. Luc XXIII, 34.

[18] Cf. Ps.LXXX, 17.

[19] Cf. Jérem. IV, 20.

[20] Cf. III Reg. VIII, 27.