Neuvième Elévation

Cœur méconnu des hommes

Septième plainte du Cœur Eucharistique de Jésus à tous les fidèles

I

Réflexion. – Quand on porte un nom célèbre, être méconnu et passer pour rien est simplement une erreur, qui ne peut blesser que la vanité. Mais être méconnu dans la droiture de ses pensées ou la pureté des senti­ments de son cœur, c’est une souffrance légitime parce qu’elle blesse la justice et une vérité à laquelle on a droit. Mais si l’être méconnu est un bienfaiteur insigne dont les actes généreux ont inondé la vie d’un être aimé, la souf­france est plus profonde parce que la blessure est dans le cœur en même temps que dans la justice et la vérité. Pour le cœur méconnu, il est encore une autre peine : forcé de mésestimer ceux qu’il aime, il est exposé à ne plus les ai­mer.

II

Jésus – Je suis venu à vous comme un Roi plein de douceur[1]. J’espérais être compris et trouver des cœurs ou­verts dans lesquels il me fût possible de répandre toute la richesse de mon amour, l’avant-goût des joies du ciel et les contentements purs de la terre promis aux âmes de bonne volonté[2]. Pour cela, je me suis donné comme nul ami, nul époux ne se donna jamais; je me suis livré en nourriture, je vous ai faits mes maîtres dans l’ Eucharistie où vous disposez de moi, à tout heure, je me suis laissé confiner dans d’obscures retraites[3], et là, au fond de vos pauvres tabernacles de pierre ou de bois, je suis demeu­ré, attendant que, touchés de tant d’amour et pénétrés de reconnaissance, vous veniez comme réchauffer mon cœur avec l’ardeur des vôtres; et voilà que je n’en suis pas moins au milieu de vous presque comme un inconnu. Lorsque vous rendez vos hommages à mon corps sacra­mentel, mon Cœur sacré, heureusement aimé dans ses autres demeures, est oublié dans l’Eucharistie, comme on oublie un mort enseveli depuis longtemps. Depuis long­temps en effet, je l’avais découvert aux miens, ce Cœur Hostie, mais ils ne l’ont pas reçu avec l’amour que j’avais lieu d’attendre. Cependant mes soupirs ont été enten­dus, et, connaissant tout le mal que vous vous êtes fait à vous-mêmes, mon cœur s’attendrit et il cherche quelque raison pour être indulgent …

Puisque je suis un Dieu caché, un Cœur voilé, me dis-je, n’ai-je point dû m’attendre à être quelquefois méconnu ? … ne vous pardonnerai-je pas ce long oubli de vos cœurs pour le mien, lorsque vous m’avez aimé de quelque autre manière ? Oui, je vous pardonnerai, mais puisqu’aujourd’hui vous le connaissez, aimez-le et ap­portez-lui votre amour au lieu qu’il a choisi pour se don­ner à vos âmes. Vous, adorateurs zélés de l’Eucharistie, vous, amis de mon Sacré Cœur, venez accroître encore, dilater, réjouir, compléter ici le culte que déjà vous me rendez ; venez fervents, venez tièdes, venez pécheurs, venez tous, et venez avec confiance si vous venez avec amour. Tout n’est pas perdu pour vous être un moment égarés, fussiez-vous même, hélas ! allés loin dans la voie du mal ; je sais le limon dont vous êtes formés, et puisque c’est mon cœur qui vous appelle, ne craignez point : ce qui est perdu, je le rechercherai ; ce qui est égaré, je le ramènerai ; ce qui est faible, je le fortifierai[4]. Venez donc, et si vous apportez un esprit de paix pour me faire ou­blier votre ingratitude, je n’aurai qu’un même cœur avec vous[5]. Or, maintenant que vous avez reçu mes plaintes et vous êtes humiliés, mon cœur va s’ouvrir à l’espérance et vous confier ses désirs.

III

L’âme – Quoi Jésus, vous m’appelez encore sur votre cœur, au lieu de me punir ? voilà où vient aboutir la juste indignation que nous avons méritée !… Nous avons pé­ché contre le ciel et contre vous, Seigneur, et parce que repentant, je retourne à mon Père, vous m’ouvrez aussi­tôt vos bras.

Ah ! quel Cœur incompréhensiblement bon et ten­drement généreux est le vôtre, Seigneur ! Sur la terre, vous aviez encore de saintes colères, de justes châti­ments : dans l’Eucharistie, vous n’êtes plus que douceur. Ah ! pourquoi trop tard vous ai-je connu, trop car vous ai-je aimé ! Comment se peut-il qu’en adorant votre au­guste Présence réelle, je n’aie pas senti que ce trésor du ciel donné à la terre ne pouvait être qu’un don de votre Cœur et son domaine ? Celui qui aime avec discerne­ment, dit l’auteur de l’imitation, fait plus attention au cœur de celui qui donne, qu’au don lui-même …

Ici, à la vérité, le don et le donnant sont un, l’atten­tion ne saurait donc être moindre pour l’un et l’autre ; mais cette attention de nos âmes, elle doit être éveillée néanmoins, pour doubler, centupler notre amour, notre reconnaissance, nos retours envers un tel Donateur pour un pareil Don. Ah ! Cœur Eucharistique de Jésus, je ne vous ai pas seulement méconnu, je vous ai repoussé sous ce titre, sous de puérils prétextes, invoquant la loi comme si la loi pouvait condamner ce qui la confirme, comme s’il ne fallait pas accomplir la loi et ne point rejeter ce qui est juste et bon avec elle[6] ! Je vous ai donc aussi, Cœur de mon Jésus, laissé seul et sans consolation dans vos tabernacles, oublié, délaissé, humilié, outragé et méconnu des hommes ! Malheureux que je suis, où irai-­je pleurer mes ingratitudes, comment les réparer, dans quelle obscurité les expier ? Ah ! je le sais où j’irai : j’irai dans l’obscur sanctuaire où vous êtes seul comme un prisonnier, je me riverai à vos chaînes, je les couvrirai de baisers et ne vous quitterai plus, ô mon Maitre adoré ; Alors, peut-être jetterez-vous un regard de pitié sur moi, et ce regard sera mon salut, mon pardon, ma justification, ma réhabilitation ! Seigneur, vous avez dit une fois à l’épouse infidèle : Reviens à moi et je te recevrai, tamen revertere ad me, dicet Dominus, et ego suscipiam te[7].

Me voici, ô miséricordieux Jésus, je reviens, que vou­lez-vous que je fasse ?

10e Elévation : Cœur aimant nos cœurs


[1] Cf. Math. XXI, 3.

[2] Cf. Luc XI, 4.

[3] Cf. Ps.CXLII, 3.

[4] Cf. Ezech. XXXIV, 16.

[5] Cf. II Cor. XIII, 11.

[6] Cf. Luc XI, 42.

[7] Cf Jérem. III, 1.