L’acte eucharistique, le soir du Jeudi Saint, était le testament de Jésus-Christ, acte solennel que voulut ac­complir le Sauveur avant son immolation sanglante, et dont l’effet, comme tous ceux de même nature, supposait la mort du divin Testateur, et ne devait avoir son résul­tat ultime que dans l’avenir.

L’institution de l’adorable Eucharistie était donc, dans son double mystère, un acte transitoire qui « complétait » le passé comme sacrifice, le reliant à l’avenir comme sacrement. Une de ses fins évi­demment était de perpétuer, en même temps qu’il le ré­alisait, cet état sacramentel, et il créait à l’heure même le sacerdoce : « Faites ceci en mémoire de moi », disait-il à ses Apôtres, leur conférant le pouvoir de la consécration sainte.

Remarquons-le : aussitôt après l’Institution de la Sainte Eucharistie et en la nommant un mémorial, Notre-Seigneur regarde sa vie mortelle comme étant fi­nie ; et en effet dans le sublime discours du dernier soir, le divin Maitre, embrasé d’un feu nouveau et transporté par la charité, était déjà comme n’étant plus de ce monde : «C’est maintenant que le Fils de l’Homme est glorifié[1] », disait-il, comme s’il avait perdu de vue qu’il lui restait encore à mourir, ou comme si cette mort était déjà traversée; c’est que la mort ne lui semblait plus être que le baptême de sa nouvelle existence, « baptême qu’il avait désiré avec ardeur[2]», sans doute afin d’être déchargé des péchés du monde dont il avait assumé l’expiation, et pour être plus tôt « l’hostie pure et sans tache[3] ».

« Mes petits enfants, répétait-il à ses Apôtres, comme s’ils étaient presque des nouveau-nés, je vous donne un commandement nouveau : Aimez-vous les uns les autres[4] » C’était la loi d’amour, émanée immédiate­ment du sacrement d’amour.

A cette heure suprême, on sent déborder de toutes parts le Cœur qui vient de se donner dans une effusion nouvelle.

On peut donc envisager l’Institution de l’Eucharis­tie sous ces deux aspects différents : la mort et la vie, la fin d’un état et le commencement d’un autre.

A la Sainte Cène, l’amour du Sacré-Cœur de Jésus lui faisait instituer ce qui devait rester à jamais le sou­venir de la mort de l’Homme-Dieu ; et par ce même amour, ce divin Cœur devenu Cœur Eucharistique, don­nait le Dieu vivant offert jusqu’à la consommation des siècles en son état impassible et glorieux.


[1] Cf. Jean XIII, 31.

[2] Cf. Luc XXII, 15

[3] Cf. Malachie.

[4] Cf. Jean XIII, 34.