Un pauvre pêcheur, surpris en pleine mer par la tempête, fit naufrage et périt dans les flots. Sa malheu­reuse veuve, anxieuse, éplorée, l’attendit longtemps sur le rivage… Comprenant enfin son malheur, elle regagna sa demeure. Son désespoir était morne et profond. Mais soudain, une pensée vint suspendre ses larmes brûlantes : il a été jeté sur une côte lointaine ; il reviendra demain !… Et elle s’endormit d’un sommeil paisible.

Dès l’aube du jour, elle prépara un grand feu, un bon repas, les habits de fête, puis s’en alla vers la grève, s’assit sur une falaise, et les yeux tournés vers l’horizon, elle attendit. Le soir venu, elle se leva tranquillement et reprit d’un pas ferme le chemin de sa pauvre demeure en redisant : Demain…

La douleur, disait-on, l’avait rendue folle. Mais cette folie douce et calme n’était que dans son espérance. Était-ce vraiment une folie ?…

Plusieurs années durant, la pauvre femme revint ain­si chaque jour s’asseoir assurée et tranquille sur son ro­cher. Là, elle jetait un long et suave regard sur l’immensité, jusque par-delà cette limite où le ciel et l’eau semblent se confondre et disparaître dans l’infini ; et, sous la puis­sance d’une sorte de charme, elle attendait…

Un soir, elle vint à son ordinaire, et se plongea dans son extase accoutumée. Mais tout à coup, on la vit s’élan­cer comme pour se précipiter dans les bras de quelqu’un, puis s’affaisser sur elle-même, les yeux fermés, un inef­fable sourire sur les lèvres… elle était morte. L’âme de celui qu’elle avait attendu était venue sans doute, à ses der­niers moments, récompenser sa persévérance et l’avait emmenée.

Mon âme, toi qui aimes ton Dieu, aime-le comme cette femme aimait son époux ; et lorsqu’il te semble l’avoir perdu, conçois cette folle espérance qui sera une haute sagesse, car l’Epoux divin, Lui, n’est pas mort ; et quand encore tu l’aurais perdu, ta persévérance le ra­mènerait. Comme la veuve du pêcheur, fais selon le de­voir les œuvres qui doivent lui plaire, prépare sa maison comme s’il devait venir aujourd’hui, et tous les jours à l’oraison, comme sur un rocher, demeure calme et per­sévérante. Oublie-toi, oublie tout, jette tes regards dans l’infini ; attends, attends toujours ; et, en te retirant, s’il n’est pas encore venu, répète : Demain…

En effet, ce demain fût le dernier, l’Epoux viendra, et sa douce étreinte te fera comprendre que ces heures bénies étaient la sublime extase de la pure foi, de la sainte espérance, de la parfaite charité qui a ravi son âme et l’unit à toi pour toujours.